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UNE VESTE DE PYJAMA

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Il y a longtemps que la littérature me tourne autour, comme une coureuse de fond autour de la carcasse que je suis. Je me suis laissé contourner sans jamais oser l’interpeller et puis la mort est arrivée… et c’est elle qui a donné le coup de semonce de cette fin à l’évitement.

Écrire, écrire comme on cherche son souffle, à le reprendre lors d’une noyade évitée de peu, sortir la tête de l’eau et recueillir les souvenirs avant qu’ils ne deviennent putrides. Il y a dans cette course au temps, l’idée que cinquante ans n’est rien, c’était hier. Tout n’est que ténacité, je me devais donc de retrouver celle de mes onze ans, la promesse de ce Cross auquel je n’ai pas participé mais dont la soudaine nouvelle d’une mort surprenante, m’avait alors plus qu’interpellé. Un mioche né comme moi pendant les trente glorieuses trépassait sur une piste rouge sang. Un être aimé, en partance et en provenance d’une mémoire dont l’un des marqueurs aura été sa surprenante disparition, était tombé au champ d’honneur des moins de quinze ans.

Et au-delà de l’espérance, la perte d’un amour des plus purs…

Car si la vie est une course d’endurance, platitude observation, elle exige parfois d’y abandonner son souffle comme lorsque l’on est amoureux, physiquement dépendant d’un corps. Il n’aura suffi pour cela, qu’un compagnon de jeu, y laisse le sien pour que je me souvienne, de ce temps des mioches aux guibolles malingres et à travers eux, des adultes qui les accompagnent, ces grands aidants : père, mère, frère, collègues de travail, jalonnant une piste de Cross comme autant de repères de vie. Ils y ont couru, eux aussi, sur cette piste, inexorable chevauchée à la vie…

Une fois, tout ce petit monde rassemblé, je pouvais nourrir ma fiction mémorielle. Les souvenirs ayant besoin de racines solides, celles des peupliers du stade de Béthune m’offraient leurs vertigineuses allures comme autant de plumes d’écrivains plantées dans les encriers de faïence des tables d’écoliers.

La météo du Nord, les ciels bas et sombres contribuant au drame tandis que l’imagination foisonnante guidait les personnages vers leurs destins plus comiques que tragiques.

Il y a dans le panorama de cette année-là, 1975, une mémoire qui ne se compte pas en pixels, une couleur de mémoire qui s’accapare l’ocre rouge de la piste de course pour se diluer inexorablement, dans la vérité à peu près, celle d’un gamin de onze ans forgeant avec conviction son imaginaire identique à celui de ces figures nuageuses dans le ciel des Flandres, à Béthune, précisément. C’est là que tout s’est joué, dans le Pas de Calais, sous la pluie, sur les pavés, à l’ombre des peupliers penchés. Ce qu’il y a de terrible pour moi, à évoquer cette enfance préadolescente, c’est qu’elle me ramène à ma posture d’homme sans enfant ou n’ayant pas su en faire. Il ne me reste plus alors que ces deux mioches, moi et Éric pour m’épancher, jeune vieillard à l’arthrose naissante, acteur de « père », veilleur insomniaque.

Et comme l’on recouvre les corps offerts à la froidure du temps, d’une couverture bienveillante, je me devais de rester en éveil, de peur qu’ils ne deviennent des souvenirs à s’enrhumer. Je suis le sirop réconfortant de leurs âmes et de ce que je me souviens, il avait un goût amer, difficile à avaler mais guérisseur d’amour.

C’est de ce sirop que j’ai tenté d’extraire mon roman, un médicament de l’âme souvent drôle, parfois tragique, en une composition d’apothicaire secrète mais sincère.

À prescrire, sous la couette, en rêvant d’une toux grasse qui s’en va finir dans les bras d’un père, d’une mère et le plus tard possible dans les bras de la redoutée mort.

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